Je vous en avais parlé sur ce blog, le nouveau projet d'Ólafur Arnalds, le touche à tout Islandais vient de sortir.
Ólafur Arnalds est un compositeur éclectique, ayant joué tour à tour du classique, du metal, de l'electro... mais dont l'univers sensible et mélancolique a été très inspiré de Chopin, musicien qu'il place haut dans son estime. Il n'est donc pas étonnant qu'il se soit attaqué à son répertoire. Pour l'occasion il est accompagné par Alice Sara Ott, pianiste germano-japonaise.
Ólafur n'étant pas un musicien de classique, il ne propose pas ici une simple nouvelle interprétation des nocturnes ou autres œuvres du pianiste franco-polonais comme il y en a tant, mais des compositions inédites, s'appuyant ou s'inspirant d’œuvres du maitre. Ainsi le premier morceau, Verses est un inédit qui est basé sur un motif de la sonate no 3 de Chopin, mais qui s'y éloigne très fortement, pour sonner comme un morceau d'Ólafur Arnalds, et c'est bon. Le second titre est justement la sonate no 3 de Chopin, joué par Alice, histoire de comparer et d'observer le chemin parcouru. Cette succession d'interprétations des œuvres de Chopin et de nouvelles compositions s'y inspirant se poursuit tout au long de l'album. Et c'est sans doute là, la principale faiblesse du projet.
Si la découverte de nouvelles œuvres du compositeur islandais justifie l'achat d'un nouvel album, les inédits ne couvrent que la moitié de l'album. Les morceaux de Chopin quant a eux, même s'ils sont joliment interprétés par Alice Sara Ott (ASO pour les fans de vélo...), n'apportent pas grand chose par rapport à ce qui se fait déjà.
De plus, il y a un trop fort contraste entre les œuvres au piano d'Alice et les compositions au violon d'Ólafur et je regrette fortement que les univers des deux musiciens ne se mélangent pas plus. A ce titre l'enchainement : Nocturne in C Sharp Minor et Reminiscence est le plus réjouissant de l'album.
Dernier défaut, mais mineur, si la comparaison des deux versions, avec la recherche des motifs communs, peut être ludique, ça peut se faire au détriment d'une écoute plus globale de l’œuvre.
Dans l'ensemble les œuvres d'Ólafur sont réussis, mais concentrent l'intérêt principal de l'album. Il peut s'agir d'une bonne porte d'entrée pour les fans de l'Islandais qui ne serait pas familiarisé à l’œuvre de Chopin (est-ce possible ?) ou plus probablement aux amoureux de Chopin et d'Alice (on les comprend sans mal) qui pourraient ainsi découvrir le talent d'Arnalds.
Plus qu'une simple chronique, cet album In the Silence est l'occasion de soulever un certain nombre de réflexions sur la domination de l'anglais sur le marché de la musique et la difficulté pour des "petits pays" comme l'Islande d'exporter leur culture en la gardant intact. Pourquoi en parler pour ce second album d'Asgeir ? Tout simplement car In The Silence est en réalité la simple traduction en anglais de son premier album Dýrð í dauðaþögn. Pas besoin d'être un génie pour comprendre l'intérêt de cette traduction, imaginez vous en soirée en train d'évoquer votre dernière découverte musicale :"Hey ! T'as écouté l'album d'Asgeir, Dirss i deuïthamachinchose, il est trop bien !" Le problème ici, c'est que ce n'est pas seulement le titre qui a été traduit, mais l'intégralité des paroles des chansons.
Avant de me lancer plus avant dans le décryptage de cet album, il est bon de rappeler dans quel contexte il a été composé pour donner un peu plus de relief au choix de cette traduction.
L'Islande est un point chaud de la littérature mondiale, où s'est épanouie un fameux genre littéraire, les sagas (mots que la langue française à emprunter à l'Islande et qui signifie récit), qui narrent l'histoire de personnages illustres - des rois norvégiens dans les sagas des rois norvégiens ou d'illustres explorateurs ou conquérants dans les sagas islandaises - de leur naissance à leur mort, sans oublier leur important lignage et en intégrant parfois des éléments fantastiques et mythologiques (sagas légendaires). Même si ces récits sont en parties, voir pour certains quasiment intégralement, fictionnels, ils apportent une mine d'informations sur les modes de vies de l’époque. On sait d'ailleurs que nombre de ces nordiques étaient d’habiles poètes qui composaient de la poésie scaldique. On peut citer également l'Edda poétique, notamment la Völuspa, qui avec l'Edda en prose de Snorri Suturlson sont les plus importantes ressources à notre disposition pour comprendre la mythologie nordique. Encore actuellement, l'Islande est célèbre pour ses thrillers baignés dans l'ambiance si particulière de ce pays mais possède une littérature variée que l'on ne peut limiter à ce seul genre et nous revenons doucement à notre sujet initial.
Car ce premier album est avant tout une belle histoire, celle d'un jeune homme qui tarde à s'ouvrir à la civilisation dynamique de Reykjavik, la capitale et qui reste très attaché à ses origines rurales dont on perçoit le calme et la paix dans sa musique. Mais c'est aussi un rapprochement avec son père, poète apprécié en Islande, qui lui a écrit toutes ses paroles. Il faut aussi rappeler l'attachement des islandais pour leur langue (Íslenska), la fierté de sa pureté, elle qui n'a que très peu évolué depuis plus d'un millénaire et se rapproche du vieux norrois, la langue scandinave médiévale.
Pour toutes ses raisons, on comprend aisément que cette démarche de traduire les paroles de son père, de dénaturer la sonorité si particulière de l'islandais, pour s'exporter et s'imposer aux restes du monde n'avait rien de naturel. Mais on comprend le choix du producteur, l'islandais étant une langue obscure, imprononçable pour le public étranger et aux accents rugueux pas forcement vendeur. La plupart des succès musicaux islandais ont été produits dans la langue de Shakespeare (Björk, Of monsters and men, Jón Jónsson...). Sigur Ros en est un contre exemple - me direz vous, ou pas, vous faites ce que vous voulez - Mais le succès de Sigur Ros à l'étranger s'explique - outre leur talent, qu'ils partagent avec d'autres - par un certains nombre de facteurs favorables :
- Il ne s'agit pas de chansons à texte, les paroles sont là comme instrument et le sens importe peu. D'ailleurs un bon nombre de chansons sont écrites en Volenska, langue imaginaire qui ne veut rien dire.
- Liée à cette absence de sens, la musique de Sigur Ros est universelle, la mélodie seule réveille des émotions que chacun peut ressentir, indépendamment de sa langue.
- Sigur Ros s'est exporté à l'étranger après avoir fait ses preuves dans son pays, albums après albums, et surtout s'est fait connaitre en partant en tournée avec Radiohead.
Pour Asgeir, c'est un tout autre contexte. Après un seul album, qui a connu certes un succès fulgurant et inédit en Islande (meilleure vente pour un premier album), Asgeir était absolument inconnu à l'étranger et c'est un label londonien (qui avait déjà repéré Björk) séduit, qui a parié sur lui pour l'exporter à l'étranger. Loin de moi l'idée de faire une leçon de marketing, c'était sans doute la meilleure solution que de le faire enregistrer en anglais et le succès qu'a rencontré l'album en est la preuve.
Mais quand est-il des conséquences sur la qualité artistique de l'album ? Le traducteur, John Grant, s'est attaché au mieux à respecter le sens des paroles (et mon niveau d'islandais m'interdit évidemment de vérifier la qualité de cette traduction), intention louable, mais faite parfois à l'encontre de la musicalité des paroles, renforcé par la diction d'Asgeir, moins à l'aise avec l'anglais, ce qui donne à l'ensemble un côté moins naturel, plus haché, quelque peu dommageable. On perd aussi en nuance, ou la voix légère d'Asgeir et son timbre profond colle parfaitement avec les subtilités de l'islandais, tantôt rugueux, tantôt délicat, riche en sonorité variée. D'un autre côté on peut se réjouir que la traduction du texte, même si on en perd le rythme et la mélodie (l’éternel problème dès qu'il s'agit de traduire un poème, exercice au combien périlleux) permet de faire découvrir un texte qui sinon aurait été inaccessible au profane. Regrette-t-on la traduction de l'Edda de Snorri Suturlson ou de la Völuspa ? Qui en France est capable de les lire dans leur version originale ?
Et si les sonorités de la traduction peuvent paraître moins naturelles, c'est avant tout par comparaison directe avec la version islandaise. Mais prit indépendamment, ce In The Silence est un bijou, mais Dýrð í dauðaþögn est juste un peu meilleur. Que ce soit l'une ou l'autre version, il est temps d’arrêter cette digression et de parler de la musique. Et il n'y a pas tant à dire. C'est un album de folk/pop, teinté de notes électro intégré intelligemment, aux accents heureux et chaleureux, porté par la voix aérienne et reposante d'Asgeir. Les chansons s'enchainent sans accroc, on se laisse transporter par les mélodies délicates et positives, pour 40 minutes enchanteresses. Cet album mérite clairement son succès. Et pour ne rien gâter, vous trouverez la version deluxe de l'album, comprenant les deux versions, pour à peine plus cher que le seul In The Silence, de quoi s'ouvrir à cette merveilleuse langue qu'est l'islandais. Vous n'aurez plus qu'à vous blottir au coin du feu et apprécier.
Je vous laisse vous faire votre propre opinion en écoutant les deux versions de son principal tube :
King and cross
Leyndarmál
Pour la suite, il y a fort à parier, pour les raisons déjà évoquées, pour l'attachement à la langue, à la culture, à ses racines et tout simplement à son père, qu'il retourne chanter dans sa langue natale. Et le succès de In The Silence lui a sans doute ouvert une popularité suffisante pour acquérir une certaine liberté pour son prochain album. La sortie de Dýrð í dauðaþögn aux États-Unis, dans sa version originale, semble aller en ce sens. Bæ !
Après une première saison de grande qualité, recueillant succès populaires et critiques, Broadchurch revient le 5 Janvier sur la chaine britannique ITV.
Ólafur Arnalds est toujours au commande de la musique et nous annonce plus de 5 nouvelles heures composées.
Avec David Tennant et Olivia Colman qui reprennent leur rôle, on est en droit d’espérer une nouvelle grande expérience télévisuelle.
Vous pouvez vous faire une première idée en regardant le trailer officiel :
A l'image de Burnt et son audiovisuel, la nouvelle vidéo de Kiasmos reste très minimaliste et fait plus figure d'une mise en relief et en couleur de la musique que d’œuvre cinématographique. Mais quand la musique se suffit à elle même, pas forcement besoin d'artifice.
Held est extrait du premier album de Kiasmos sortit le 27 octobre de cette année.
Je vous ai déjà parlé du projet Kiasmos dans un billet précédent, il est temps dans dire un plus sur leur premier album éponyme. Petite piqure de rappel, Kiasmos est le projet de deux hommes : Ólafur Arnalds (Islande) et Janus Rasmussen (Iles Féroé), soutenu par le label Erased Tapes, dénicheur de talents. Les deux musiciens sont connus pour avoir déjà touché à l’électro, le premier en le mêlant à des sonorités plus classiques et acoustiques, et le second ayant une fibre plus pop.
L'album nous ai vendu comme un album de techno. Sans rentrer dans les détails du style et dans une classification alambiquée, on y retrouve effectivement une rythmique très présente, très lourde et grave propre au genre, qui donne un côté répétitif qui n'est pas sans rappeler des œuvres minimalistes.
Mais l'album se construit autour de la dualité entre cette rythmique très marquée et des mélodies légères, aériennes qui tissent une ambiance atmosphérique ; le curseur se déplaçant d'un pôle à l'autre pendant toute la durée de l’œuvre. Le propos reste toujours simple, des mélodies accrocheuses, des atmosphères enveloppantes et envoutantes, des rythmes puissants et répétitifs, comme sur Looper construit autour d'un air de piano minimaliste sur lequel se greffe des percussions entrainantes qui se développent et gagnent en intensité. On retrouve cette progression également à l’échelle de l'album, où les vapes mélodiques se font plus insistantes, plus envahissantes, et enrichissent l'album, le chargent en émotion. L'instrumentation plus classique gagne du terrain, le piano d'Ólafur, évidemment, où les violons mélancoliques dans le final de Throw. Ce changement de cap atteint son apogée sur les trois dernier morceaux, le mélancolique Dragged, le plus sombre et agressif Bent, et le planant Burnt, somptueux final, climax émotionnel.
Kiasmos n'a pas inventé un genre, cette ambivalence entre ambiant et rythme existait déjà, et a connu son âge d'or au début des années 90 (The Orb, Aphex Twin, Autechre et autres sommités de l'ambiant house et de l'IDM), mais il lui apporte sa propre sensibilité, sa mélancolie, pour un résultat très réussi.
Track List :
1.
Lit
2.
Held
3.
Looped
4.
Swayed
5.
Thrown
6.
Dragged
7.
Bent
8.
Burnt Musiciens : Ólafur Arnalds Janus Rasmussen